Les origines de la Prohibition

Dans le cadre d’un travail de recherche en Histoire américaine, je me suis intéressé aux origines de la prohibition de l’alcool aux États-Unis. Aux événements et aux différentes évolutions de la société qui ont mené en 1920 à la mise en vigueur du XVIII ème amendement de la Constitution Américaine, interdisant la production, la vente et la consommation d’alcool sur l’ensemble du territoire.

Cette histoire commence plusieurs siècles auparavant. Dès l’arrivée des premiers colons européens, les boissons alcoolisées sont présentes sur le futur territoire des États-Unis. Par exemple, en 1620, lorsque le célèbre Mayflower arrive sur les côtes du Massachusetts, ses cales sont pleines de bières.

Dans les années qui suivent l’indépendance, la création de l’état fédéral et puis tout au long du XIXème siècle, l’alcool fait entièrement partie de la culture américaine. Les Américains deviennent de très gros consommateurs. La conception d’alcools très forts et la naissance des saloons sur le territoire font rapidement naître une hostilité vis à vis de l’alcool.

Au fil du XIXème, de plus en plus d’Américains commencent à penser que le vice de l’alcool est un frein au développement de la nation. Il devient fréquent de voir de nombreux hommes en total état d’ébriété à toutes heures de la journée, dans les rues des différentes villes Américaines.

Les causes de la lutte contre la production, la vente et la consommation d’alcool naissent, s’accumulent et deviennent nombreuses durant le siècle. Elles sont tout d’abord économique, avec l’idée que ces boissons enivrantes, dont raffolent les travailleurs, affectent la productivité et le développement des États. Il y a aussi des causes religieuses, certaines Églises protestantes américaines voient l’alcool d’un mauvais oeil, les boissons éloignent les hommes de la pureté et du Seigneur selon elles. Et il y a évidemment des causes sociales, l’alcool rend violents et incontrôlables beaucoup d’hommes. De nombreuses femmes et leurs enfants sont victimes d’agressions physiques ou sexuelles de la part des pères de familles revenant alcoolisés des saloons par exemple.

L’association de l’alcool au mal, à la déviance et au péché se fait alors naturellement. L’émergence des saloons et des bars au XIXème siècle, et leur importance dans le mode de vie des Américains de l’époque, se rattache au développement de quartiers malfamés, regroupant salles de jeux, maisons closes et trafiques en tout genre.

Partout aux États-Unis, durant presque l’ensemble du XIXème siècle et au début du XXème siècle, la lutte contre l’alcool est menée, elle devient un des grands sujets de débat pour la population dans la deuxième partie du XIXème siècle. Cette lutte prend en compte les différentes évolutions de la société, comme l’urbanisation des états du nord, le développement des villes où l’alcool y est beaucoup plus consommée que dans les campagnes. Le développement accentué des médias, de la politique locale et fédérale, ou encore du système scolaire par exemple, vont permettre la mise en place de propagandes pour soutenir ou non le projet prohibitionniste.

Différents événements vont ralentir la lutte, comme la Guerre de Sécession (1861-1864), les américains du nord comme du sud noient les horreurs qu’ils ont vu sur les champs de batailles dans l’alcool. Il faut aussi mentionner l’arrivée des nouvelles vagues d’immigrations Irlandaises et Allemandes de la fin du XIX ème siècle, lié au développement de l’industrie de l’alcool, avec la création des premières grandes marques de bières américaines par exemple, controlées en partie par des hommes issues de ces communautés.

La production et la consommation d’alcool augmentent alors de manière exponentielle à la fin du siècle dans les villes américaines. L’ouverture de bars et de saloons explose aussi, il devient très simple d’ouvrir son bar grâce aux sponsors des différentes industries. Les marques de bières et de whisky financent l’ouverture de nombreux établissements à condition qu’ils écoulent leurs alcools.

Cependant, d’autres événements font accélérer la lutte contre l’alcool, par exemple l’entrée en guerre des États-Unis contre l’Empire Allemand en 1917 donne lieu au boycott des industries allemandes, de leurs produits, dont l’alcool fait partie. Le contexte de germanophobie va permettre à beaucoup d’Américains de se désintéresser de manière symbolique de l’alcool.

La combat prohibitionniste se fait dès le début via l’intermédiaire d’organisations, que l’on nomme des ligues de tempérances, elles sont présentes partout sur le territoire. Il y a par exemple la « Ligue Anti-Saloons » créée en 1893, soutenue par de nombreuses Églises protestantes et menée par Wayne Wheeler (1869-1927), avocat originaire de l’Ohio, reconnue aujourd’hui par les historiens comme un des précurseurs du lobbyisme politique. Et la WCTU (Women's Christian Temperance Union, en français, Union chrétienne des femmes pour la tempérance) fondée en 1873 et présidée à la fin du siècle par Frances Willard (1839-1898). Cette organisation représente l’un des premiers mouvements féministes de l’histoire des États-Unis, les femmes étant les premières victimes des violences subits par les hommes sous l’emprise de l’alcool. La WCTU s’intéresse également aux différentes questions sociales de l’époque comme l’émancipation ou le droit de vote pour les femmes.

Grace aux ligues de tempérances, différents états interdissent l'alcool dès le milieu du XIXème siècle, comme le Maine depuis 1851. De nombreux états suivent la tendance et n'attendent pas 1920.

En 1916, la prohibition fait déjà partie de la législation de 26 des 48 États Américains. Mais pour les ligues de tempérance, la prohibition n’a de sens que s’il est interdit de se procurer de l’alcool sur l’ensemble du territoire.

Les ligues deviennent très puissantes, elles arrivent même à influencer de nombreux hommes politiques américains. On s’en rend réellement compte lorsque la prohibition de l’alcool est demandée pour l'ensemble du pays. Les taxes sur l'alcool représentent la majeure parti des revenus fédéraux au début du XXème siècle. Il est donc compliqué d’imaginer son interdiction pour le Sénat. Mais la création de l’impôt sur le revenu en 1913 via le XVI ème amendement de la Constitution américaine, soutenue par les ligues de tempérance comme celle Wayne Wheeler, bouscule la tendance. Cette nouvelle source de revenu fédéral, augmente considérablement le budget des États-Unis et fait chuter l’importance des taxes sur l’alcool. Il est désormais concevable de l'interdire dans l’ensemble des états.

Le 22 décembre 1917, le XVIII ème amendement de la Constitution américaine est proposé : la prohibition de l’alcool sur l’ensemble du territoire. Il faut désormais à ceux qui soutiennent cet amendement aller le faire ratifier aux 5000 législateurs de 36 états différents, ils réussissent en un temps record, treize mois s’écoulent et le Nebraska devient le dernier état à ratifier l’amendement en 1919. La prohibition de l’alcool est alors mise en vigueur le 16 janvier 1920, sous la présidence du grand vainqueur de la Première Guerre mondiale Woodrow Wilson.

Cet amendement est accompagné du Volstead Act, visant à renforcer la politique prohibitionniste. Ce texte législatif élargit l'interdiction de production, de distribution et de vente d’alcool aux différents bars et restaurants.

La lutte intense du début du XXème siècle a vu de plus en plus d'Américains se rallier à la cause prohibitionniste, beaucoup de propagande mise en place à travers de nouveaux médias comme le cinéma contre l’alcool. Son interdiction est vu par beaucoup d’Américains comme une réforme progressiste, faîte pour le bien de la nation dans ce nouveau siècle et non comme une réforme conservatrice. Elle rallie des Américains de tout bord politique et de toutes idéologies. Cependant avant même la mise en vigueur du XVIII ème amendement, la lutte divise la population, elle s’insère dans les débats fondamentaux de la nation. Divise à nouveau fédéralistes et anti-fédéralistes, oppose les habitants des villes à ceux des campagnes, les protestants et les catholiques, les premières vagues d’immigration anglo-saxonnes et les plus récentes, originaires d’Irlande, d’Allemagne ou Europe de l’Est. La lutte engendre donc avant même les années 1920, sur l’ensemble du territoire de nombreux problèmes politiques, religieux mais également judiciaires. La contrebande d’alcool naît alors dans les premiers états prohibitionnistes.

Ceux qui s’y opposent, considèrent la prohibition comme une privation de liberté. C’est tout un symbole pour un pays bâti sur les libertés individuelles.

Anquez Etienne